mardi 23 août 2011

La justice américaine, une prospective de marketing


La justice américaine: le chat qui se mord la queue ou "tiens toi au pinceau, j'enlève l'échelle." (A propos de l'article de Jean de Valon, "une suspecte innocence", au sujet de DSK "blanchi" comme on l'écrit un peu hâtivement (au pénal mais non au civil.)

JUSTICE AMÉRICAINE OU LE PAUVRE EST TRANSPARENT

La justice américaine a "jugé", si l'on peut dire, en pochoir. Ce "jugement" ou plutôt ce refus d'aller au procès qui seul peut juger, de la part de Vance et pour les deux parties, laisse un malaise: l'un reste "celui qui a peut-être violé sans qu’on puisse parvenir à une certitude" et l'autre, "celle qui a peut-être menti par appât du lucre." Le viol est reconnu par les rapports médicaux seulement voilà, Vance n'ose pas le vendre. Il semble ici décider non en fonction de sa propre raison et conviction, mais de celle qu'il présume d’un jury unanime... c'est à dire de la capacité de la plaignante à persuader contre celle de l’accusé ! en évaluant sa personnalité, sa rhétorique, son talent pour l'emporter -ou celui de son avocat-, la sympathie qu'elle suscite, son allure, son passé dans les moindres détails, son entourage, ses soutiens, réseaux. Voilà! elle n'a pas "fait" le score requis contre DSK. La barre était un peu haut il faut dire ! et c’est bien cette notion de barre qui est révélatrice : eût-il été simple employé, ça passait. Si ce n’est pas favoriser les puissants !

 La victime idéale aurait été blanche, américaine, jolie, discrète, de milieu petit bourgeois impec socialement, s'exprimant bien et épouse fidèle d'un cadre. La seule question est ici : le jury va-t-il acheter? Si non, poubelle. 

C’est totalement de la prospective de marketing, c'est à dire l'opposé de la notion de justice qui est une appréciation hors toute influence paralysant la raison, de faits et d'allégations afin de trouver le vrai et restituer l'équité par la dignité restaurée de la victime reconnue telle (et partant, victime, elle ne l'est plus!*) La question ne devrait pas être "est-ce que Nafissatou Diallo saura persuader le jury qu'elle a été violée par DSK" mais a-t-elle été violée par DSK? 

Le proc suppute de ce que penseront les 12 Mr Lambda : ce n'est pas "je pense" mais "je pense qu'ils vont penser" et je m'aligne d'avance, élections obligent. Le système français où le juge, indépendant, cherche le vrai en instruisant à charge et à décharge sans souci de ce que vont en penser le buraliste, le proviseur du lycée, le patron de d'entreprise ou l'élu local est le seul qui garantisse une relative objectivité. Oui décidément, la justice en France malgré tout est meilleure. (lien avec "Le droit de travers".)

Aux USA, au lieu de rétablir une balance déséquilibrée en chargeant le plateau le plus haut, elle surcharge celui déjà abaissé. Du côté du plus fort. Cette démagogie relève aussi d’un certain mépris pour le jury : si le proc suppose qu’il sera influençable même à rebours de la logique élémentaire, de ce que disent les rapports d'experts -pour ce faire il évalue la pugnacité respective des avocats de l'un et de l'autre- il se range simplement sur le présumé vainqueur [et dans la foulée suppose le jury abruti (!)] 

Et si tout le monde se met au diapason de ce qu'il suppose que pensera tout le monde.. qui de même s'ajuste sur ce qu'ils croient que tout le monde va penser etc... il n’y a plus de pensée critique c’est à dire plus de pensée du tout. Juste une prospective de marketing. Démagogie et flagornerie. Comme l'élève à l'oral du bac qui se renseigne sur le prof de philo pour pouvoir lui servir CE QU'IL SUPPOSE QUE CELUI-CI VEUT ENTENDRE. Ce n'est ni de la justice ni de la philosophie.

Celui qui aura su le mieux naviguer et persuader gagnera à tous coups. A votre avis, qui? Riches, démunis, beaux, moins beaux, brillants, naïfs, solides, malades, as de la sophistique, instruits, analphabètes, ayant tel passé, nous ne sommes pas "égaux" devant la société et la justice a justement pour rôle de remettre la balance à l'horizontale. Un plaignant issu de classe défavorisée et même d’un pays en guerre, moins charismatique, moins attractif, moins "proche" du jury culturellement, moins facile à comprendre, auquel on aura peut-être du mal à s'identifier aura donc à tous coups perdu ses chances d'obtenir le procès qu'il implore.

S'y ajoute que le pauvre est transparent, soumis aux regards des administrations, des voisins; on sait tout de lui, s'il s'énerve, s'il s'entend bien avec sa femme, s'il couche avec et quand, si elle jouit, s'il peine à se lever le matin, s'il manque le boulot ou se trouve au chômage, de quoi il vit, quelle voiture il possède, s'il a des contraventions impayées, des dettes au fisc, des aides, combien de douches il prend, s'il a tendance à boire un coup, si ses enfants réussissent, s’il a des antécédents, il ne peut rien cacher. Tandis que dans une maison individuelle entourée d'un parc et de hautes grilles, l’autre est tranquille et si par hasard quelque chose filtre, même du lourd, menaces, argent, il fera taire, et c'est lui qu'on croira ou feindra de croire. 

Une observation: Nafi Diallo a été interrogée sans relâche jusqu'à ce qu'elle éclate en crises de nerfs durant lesquelles, elle, souriante, d'humeur toujours égale de l’avis de tous, finit par se rouler à terre en hurlant. Qu’est-ce qui s’est dit, qui lui a été dit pour la conduire à ce point de désespoir ? L’a-t-on respectée dans son être ? Le résultat semble prouver le contraire. Imaginez, après un viol ici en technicolor ce que l'on peut ressentir lorsqu'on voit toute son existence étalée à plat sans aménité, épluchée, qu'on doit subir un flot roulant de questions suspicieuses masculines intimes, obscènes, durant des heures : de fait, il lui est arrivé de rater des RV et le cercle est bouclé : si elle fuit, c'est bien qu'elle a quelque chose à se reprocher. Pardi.

Et en effet, pour survivre en temps de guerre, on peut mentir : rappelons qu’elle a naïvement "menti" sur la manière dont elle a été violée en Guinée mais qu’elle a été violée tout de même et que si elle pleure, c’est à bon escient.. Oui on peut "mentir" pour survivre et les leçons de morale infligées par ceux qui ont toujours vécu en période de paix aux victimes de tels crimes frisent l'indécence. En temps de guerre, on peut bien pire encore! Doit-on pour autant subir ensuite n’importe quel dol sans pouvoir obtenir justice ? Y aurait-il un permis d’ester comme un permis de conduire ? Aux USA, oui.

* LE PARADOXE DE LA SITUATION DE VICTIME EST QUE CELLE-CI CESSE DE L’ÊTRE DES QU'ELLE EST RECONNUE TELLE PAR LA SOCIÉTÉ, COMME SI LE GROUPE SOCIAL LUI AVAIT RESTITUE SA DIGNITÉ EN ABSORBANT SON DOL, EN PRENANT SUR LUI ET A SA PLACE SON HUMILIATION, EN CAS DE VIOL NOTAMMENT. SI LES VICTIMES SE BATTENT AUTANT POUR ÊTRE RECONNUES (LA SITUATION N'AYANT A PRIORI RIEN D'ENVIABLE), C'EST JUSTEMENT POUR NE PLUS L’ÊTRE ENFIN, ET POUVOIR VIVRE AUTREMENT, COMME TOUT LE MONDE.


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